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LA VOIX DES OMBRES
6 mai 2009

PENSEES NOCTURNES - Affranchi, Désabusé & Vain...

C'est un pari réussi à mon avis. Celui d'un groupe tout récent et l'oeuvre d'un homme, sortant un magnifique premier album, Vacuum. Et celui d'un label fraichement débarqué bénéficiant d'une longue expérience dans le milieu du metal extrême : Les Acteurs de l'Ombre Productions, qui sortent de l'ombre pour produire ces PENSEES NOCTURNES, dont l'artiste aux commandes, Vaerohn, a répondu avec un sérieux exemplaires à mes questions – attention, vous allez avoir de la lecture ! Merci à ces personnes. (mai 2009).

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Bienvenue Vaerohn et à tes PENSEES NOCTURNES ! Ton album Vacuum vient de sortir ce 3 avril 2009 – je crois que tu as déjà des réactions, des chroniques en tous genres : alors qu'en dit-on justement ? Tes attentes sont-elles satisfaites, ou bien es-tu déçu des réactions ?

On me pose régulièrement la question ! En novice de ce genre d’expérience, je pensais dans un premier temps pouvoir bénéficier des critiques pour avancer, ou du moins prendre plus facilement du recul car il est toujours peu évident de qualifier son propre travail. Objectifs, nos proches avec toute la bonne volonté du monde ne le sont jamais totalement et j’attendais donc ces chroniques avec une certaine impatience. Malheureusement force est de constater que les avis sont si divergents et contradictoires que je me suis résigné à ne pas trop me perdre dans ce brouillard de mots, que les dires soient ou non élogieux. Pour te donner une idée, certains ont même rapproché cet opus de SPEKTR… Je crois que la comparaison est loin d’être valorisante, et pour les deux parties ! L’essentiel est de savoir où l’on met les pieds et je n’ai à ce jour aucun souci pour cela. Qu’importe ce que peuvent baver certaine plumes complaisantes.   

Vacuum est un terme latin pour désigner le vide – d'où le terme de vacuité. C'est aussi une pompe (« aspirateur » en anglais) à érection huhu (politico-correctement dit : un érecteur à dépression). J'imagine que tu as donné le titre de cet album en fonction de la première acception : Vacuum est-il un album conceptuel ? Pourquoi t'attacher au Vide ? Explique nous tes relations intellectuelles et spirituelles avec ce concept et si possible, la relation du Vide avec la Ville...

En effet rien de bien sexuel dans PENSEES NOCTURNES. « Vacuum » met en exergue l’inanité des aspirations des hommes. Religions, causes humanitaires ou autres, idéaux philosophes, combats politiques : de pratiques moyens de mettre un voile sur ce vide patent et d’animer un espoir ineffable en tentant de justifier notre futile existence. Nous faisons passer le temps. Comme si la vie se résumait en l’ensemble des illusions qui permettent de ne pas penser à la vie, à notre condition. Qui pourrait se targuer d’être maître de sa vie et de pouvoir attribuer une signification existentielle à chacun de ses faits et gestes ? « Vacuum » dépeint donc paradoxalement une vision nihiliste de la vie qui voit en la musique ou tout autre générateur de fantasme une fin en soi, la seule alternative. « La vie veut l’illusion » et quel meilleur moyen pour y parvenir qu’une harmonie envoûtante ?

 

Quant à la ville, comment ne pas voir la mort et la vanité dans ces amas de béton, l’expression même de l’inclination des hommes à se laisser guider par fantasme plus que par logique. Mais nous en reparlerons je crois.

Y'a-t-il eu des démos avant Vacuum ? Quelle est ta piste préférée ?

« Vacuum » est la première production de PENSEES NOCTURNES, c’est aussi ma première création. J’étais assez satisfait du son (pour un premier essai) et Les Acteurs de l’Ombre Productions ont accepté de prendre le risque de lancer un groupe inconnu. D’où le fait qu’il n’y ait pas eu de démo avant cet album.

Quant à ma piste préférée, je ne crois sincèrement pas qu’il y en ait une. Chacune a sa personnalité et reflète quelque chose de propre mais tant musicalement qu’émotionnellement je serais incapable de les classer ! Tout dépend l’état d’esprit dans lequel je suis, de ce que je cherchais au moment présent.

Combien de temps cela t'a-t-il pris pour terminer Vacuum ? Je veux dire, des premières notes jusqu'à ce que tu démarche les labels ? L'as-tu trouvé rapidement ? Es-tu satisfait du deal et de l'investissement des Acteurs de l'Ombre ?

J’ai commencé à travailler sur cet album en août dernier et j’ai fini de le mixer au début de l’année. Gerald, ancien président de l’association, m’avait tenu informé de son intention de monter un label depuis quelques temps. Ayant de suite accroché à « Vacuum » la collaboration a été assez naturelle. Même si le concept tournait depuis un moment dans ma tête la production de cet album a finalement été assez rapide.

Seulement un mois après la sortie, et quand bien même « Vacuum » est leur première expérience, dire que je suis satisfait de l’investissement que les Acteurs de l’Ombre ont fourni est loin de refléter la réalité. Je me rends finalement compte que l’argent ne fait pas tout et que l’on peut faire bouger les choses avec la motivation nécessaire. Pour un groupe partant de rien je pense que PENSEES NOCTURNES a obtenu bien plus qu’en signant sur n’importe quel label daignant l’accepter ce qui était loin d’être chose facile à la vue du risque à prendre.

Tu as signé chez les Acteurs de l'Ombre, un webzine à l'origine très connu pour ses concerts et festivals dans la capitale, ainsi que son site (qui a planté on dirait bien). Vacuum est désormais leur première sortie en tant que « producteur » : en es-tu fier ? Pourquoi eux, et pas un label qui a « pignon sur rue » ? Ils parient gros sur toi, avec mille copies d'un coup ! Pas trop de pression ?

Avant de répondre, je tiens à préciser que le site des Acteurs de l’Ombre a été totalement reconstruit et j’invite donc tous les lecteurs à y faire un tour.

C’est une fierté mais aussi un grand privilège pour un groupe inconnu tel que PENSEES NOCTURNES. L’association est réputée pour sa motivation et son sérieux tant au niveau du public que des groupes, même si certains rigolos pensent qu’il est plus valorisant de passer son temps à écrire des mails d’insulte digne d’un adolescent pré-pubère le bas-ventre tout émoustillé, que de faire bouger les choses. C’était donc un choix assez naturel. Partant de « rien » on ne peut pas parler d’un risque immodéré mais comme dit précédemment c’est avec un peu de recul une véritable chance.

Ils ont en effet pris un pari assez osé en lançant un groupe inconnu, qui ne fait pas de concert, évoluant dans un style peu banal et je te l’accorde aussi mille copies est un nombre important, surtout par les circonstances que l’on connait. Mais il faut garder en tête que Les Acteurs de l’Ombre étant une association l’objectif n’est pas d’entasser les masses d’argent mais bien d’œuvrer pour quelque chose en laquelle ils croient. « Vacuum » a été le coup de cœur qui les a incité à se lancer dans l’aventure. Comme il m’arrive assez souvent de le préciser, ce qu’adviendra « Vacuum » ne me fait ni chaud ni froid, mais il est clair que je souhaite de tout cœur que la sortie soit rentabilisée.

Je n'ai connu PENSEES NOCTURNES que peu de mois avant la sortie de Vacuum : peux-tu donc nous présenter ce « groupe » dont tu es le seul maître ? As-tu joué dans d'autres formations ? Pourquoi as-tu fondé PENSEES NOCTURNES ? Pourquoi es-tu seul ? Quelles sont tes motivations, tes objectifs ?

La difficulté d’entrer en véritable symbiose au sein d’un groupe au point d’être totalement satisfait de tous les choix effectués m’a poussé à fonder ce projet solo. Œuvrer à plusieurs est une démarche évidement plus créative mais implique d’accepter les concessions, peu évident dans le domaine artistique. PENSEES NOCTURNES me permet de laisser libre cours à mon imagination, sans avoir à prendre en compte d’autre facteur que mes divagations. Y prennent donc place les genres avec lesquels j’ai des affinités, l’objectif étant de coller au mieux à mes aspirations. Malgré son efficacité indiscutable le Black Metal tourne autour d’un spectre d’émotion très restreint et diversifier les sonorités permet de coller au mieux à l’esprit. Le fait d’être seul entraine une liberté indéniable, au niveau de la composition mais surtout dans le choix des instruments ! Un groupe de Pagan possédant une flûte, un accordéon ou je ne sais quel autre pipeau ancestral a en quelque sorte l’obligation de le faire participer à tous ces morceaux. Je peux quant à moi si je le désire inclure un unique coup de triangle (pour jouer avec les clichés) sur tout l’album sans avoir à me préoccuper que le musicien risque de se tourner le triangle le reste du temps. Le fait d’évoluer seul a clairement pour dessein de se libérer au maximum des considérations matérielles et des us et coutumes du genre afin de créer une musique parfaitement représentative de mes idées. J’ai déjà eu l’occasion d’évoluer dans divers formations (Blues, Death, Black) et j’officie actuellement dans VALHÔLL avec qui nous avons fait la première partie du Cernunnos Pagan Fest en décembre 2008.

P.N. ce n'est pas PESTE NOIRE ! Pourquoi donc as-tu nommé ce projet PENSEES NOCTURNES ? Ta musique est-elle le fruit de tes réflexions, de tes divagations ?

Le clin d’œil à PESTE NOIRE importunera plus Famine que moi (même si j’éviterais je me prononcer sur « Ballade Cuntre Lo Anemi Francor ») ! Je voulais avec PENSEES NOCTURNES reproduire ce que l’on peut ressentir le soir à l’écoute d’une musique si profonde et prenante que la linéarité du temps perd toute signification. Les ambitions stériles qui nous conduisent la journée s’étant assoupies, la nuit est un moment privilégié avec soi-même. C’est une heure d’interrogation où l’absurde règne et annihile tout semblant de réponse boiteuse. Ce nom est aussi un hommage à Chopin, génie romantique dont les pièces pour piano peuvent faire voyager très loin… PENSEES NOCTURNES est en effet un chemin pour se perdre, un chemin sinueux ouvert par l’imagination sans contrainte convenue.

Dans quel état général as-tu composé ce disque ?

Comme tu peux t’en douter cet album n’est pas le fruit seul de quelques heures de travail… J’y ai passé un temps considérable et l’état d’esprit dans lequel je pouvais me trouver est difficilement résumable en quelques mots. Crainte, excitation, haine, peur, satisfaction, émerveillement, mépris, mélancolie... J’ai néanmoins la plupart du temps composé seul le soir.

Comment élabores-tu un titre de PENSEES NOCTURNES ? De quoi démarres-tu ? Quand t'arrêtes-tu ? T'arrive-t-il de te relever la nuit pour le modifier ou de le faire bien après ?

Je pars généralement d’une idée : une sonorité, une mélodie, une harmonie, une atmosphère, et je construis petit à petit, en ayant une vue précise de ce que je veux obtenir mais sans savoir comment j’y parviendrais. Le processus de composition est alors un vrai labyrinthe, avec son lot d’allers-retours, ses égarements, ses temps de pause aussi. Je procède comme je l’ai toujours fait pour la musique, par tâtonnement et essais plus ou moins fructueux. Il m’arrive de travailler des heures sur une structure pour finalement revenir quelques jours après et tout recommencer. La technique ou l’excitation ne peuvent en aucun cas être le fondement du choix final et il ne faut pas hésiter à prendre du recul en revenant plus tard pour vérifier que l’on ne s’est pas trop laissé abuser. La complexité d’une orchestration ou d’une structure n’est pas garant de son efficacité.

C’est un processus à la fois contrariant car il n’est jamais agréable de s’échiner pour rien et permissif dans le sens ou rien n’entrave la créativité : on essaie et on juge ensuite. En ce sens, souhaitant toujours ajouter ou tenter autre chose j’ai généralement du mal à conclure.

Quant aux modifications elles sont incessantes. Malgré le fait qu’il est nécessaire de s’arrêter de temps à autre pour prendre du recul, je ne peux m’empêcher de revenir constamment pour changer des détails (à tout moment de la journée ou de la nuit).

Outre la batterie, pour laquelle je me pose aussi la question, quels sont les instruments classiques qui entrent dans la composition de Vacuum ? Qui interprète les partitions – et qui les a écrites ? As-tu une formation musicale de conservatoire ? Quel était le but à atteindre avec ces parties classiques ?

Ne pas se réduire au Black Metal permet d’atteindre un spectre d’émotion plus large : un des atouts de la « Musique Classique » est d’ajouter un peu plus de dynamique afin de couper cette linéarité. Quelle sensation préfères-tu lorsque tu conduis : accélérer de 0 à 100 km en quelques secondes ou bien rester à 130 km durant des dizaines de minutes ? L’esprit s’habitue à la violence et au volume élevé et c’est la raison pour laquelle ces passages se retrouvent plus sous la forme de paroxysme dans la « Musique Classique ». Il est assez frustrant de se dire que l’on ne peut faire durer ces moments de plaisir intense durant des heures mais à bien y réfléchir tout suit une règle semblable…

J’ai l’opportunité d’être encadré par un grand nombre de musiciens ce qui me donne accès à pas mal de matériel et d’instruments. Excepté l’improvisation au piano sur « Dés-espoir », j’ai tout composé et  j’ai joué des instruments que je maîtrise, les autres étant de la simulation. Je tenais à ce que ce « Vacuum » soit la représentation précise de ce que je souhaitais exprimer. Je n’exclue pas pour la suite de faire appel à d’autres musiciens maîtrisant mieux que moi leurs instruments mais je suis assez satisfait du résultat. 

Excepté quelques années de piano assez vite oubliées je n’ai jamais suivi de formation particulière, tant pour la composition que pour l’interprétation et le travail du son. J’ai toujours avancé par tâtonnement et c’est sûrement ce qui apporte une telle personnalité à PENSEES NOCTURNES malgré peut-être une certaine naïveté.

Les textes ont leur importance dans ces PENSEES NOCTURNES ! Parle-nous de ceux-ci s'il-te-plait ! Que racontent-ils ? Et de qui sont-ils, puisque l'on dirait bien qu'ils sont l'oeuvre de plusieurs personnes ? Enfin, pourquoi n'y a-t-il pas ceux de Flore ?

Chaque morceau a sa personnalité. Les thèmes tournent autour de la solitude, de la haine de soi et du monde, de la nature… Je souhaitais des paroles à l’image de la musique. Un morceau évolue en fonction d’un grand nombre de facteurs : état d’esprit et passé de l’auditeur, nombre d’écoutes, environnement, support audio, écoute collective ou solitaire… Il est indispensable de laisser une marge de manœuvre pour que chacun puisse aborder les morceaux à sa manière. Fixer un concept avec des paroles trop précises entrave cruellement cela et c’est ce que j’ai tenté d’éviter. J’ai donc préféré des textes poétiques et rêveurs. On peut aborder le fond conceptuel de PENSEES NOCTURNES en interview par exemple, mais laisser une certaine souplesse à l’auditeur est primordial. En plus d’avoir écrit quelques textes j’ai souhaité rendre hommage à deux noms oubliés de la Poésie Française : Albert Giraud et Maurice Rollinat. Nous avons convenu avec le label que les paroles de Flore n’étaient pas suffisamment politiquement correctes pour être partagées.   

L'enregistrement démontre une qualité sonore franchement excellente et adaptée au mélange des genres : où as-tu mis en boite Vacuum ? As-tu fait cela chez toi avec ton propre matériel ? Combien de temps cela t'a-t-il pris ? Es-tu satisfait au surplus ?

« Vacuum » a été enregistré et mixé par mes propres moyens car je souhaitais tenir les rênes sur tous les plans pour matérialiser le plus précisément possible mes aspirations. Le mastering a néanmoins été effectué au BST Studio car c’est un processus trop subtil pour être laissé à n’importe qui. Pour reprendre la question sur la composition, celle-ci est fortement liée à l’enregistrement car lorsqu’une idée me vient je ne m’en tiens pas seulement au papier mais la concrétise directement afin de pouvoir trancher consciemment. J’ai du mal à concevoir que l’on puisse entrer en studio sans avoir une idée de ce à quoi les morceaux ressembleront. L’imagination n’est pas garante de qualité, seulement de créativité. Connaissant mon mode de fonctionnement tu concevras qu’il ne m’est pas évident de te répondre sur le temps qu’il m’a fallu pour enregistrer.

En ce qui concerne le matériel j’ai la chance d’être entouré d’un nombre de musiciens suffisamment important pour avoir ce qu’il faut à ma disposition. C’est un premier essai et il y a quand même des choses que j’aurais aimé améliorer quand bien même tu trouves le son bon. Les guitares auraient mérité d’être plus travaillées par exemple mais encore faut-il avoir les moyens de se le permettre… Je suis dans l’ensemble assez satisfait du résultat.

Tu es passé par deux grands « noms » du Black français et parisiens, BST pour le mastering de Vacuum et XXX pour l'artwork : es-tu satisfaits du travail accompli par ces deux messieurs ? Je dirais qu'on a pas à se plaindre: le son est nickel, et l'artwork magnifique. Quel était ton niveau d'exigence ?

Pour le mastering, BST a pris le temps de savoir ce que je voulais pour faire quelque chose d’adapté à PENSEES NOCTURNES. Il ne fallait pas compresser le son à mort comme si l’on avait affaire à du Brutal Black. Malgré le fait que ce n’est pas vraiment le type de musique auquel il nous a habitué il a su travaillé le son comme il le fallait (pour rattraper un peu le mixage eh eh).

Quant à l’artwork, la cover est l’œuvre d’Asphyre.S et le lay-out le fait d’Alexxx, tous deux travaillant pour 3-Crosses. Ils ont réussi à coller une identité visuelle sur un projet pour lequel cela n’était pas évident, d’autant que les consignes étaient assez ouvertes pour leur laisser assez de liberté. Je suis vraiment satisfait de l’atmosphère qui se dégage de ces visuels, ils apportent une réelle personnalité à l’album. Et c’est sans mentionner le professionnalisme et la rapidité de leur travail. Bref rien à dire comme tu sembles le confirmer.

Vaerohn, tu maries Black Metal et musique classique, et tu compose celle-ci... Avec l'univers visuel développé dans l'artwork, tout cela donne un ton baroque quelque peu délicieux, qui bizarrement, me rappelle le film Entretien avec un Vampire ! Parle-nous tout d'abord de la relation que tu instaure entre le Black Metal et la musique classique ? En quelle proportion écoutes-tu celle-ci ? Quelles sont tes oeuvres favorites, tes époques de prédilection ?

Même si cela permet somme toute à tout un chacun de se faire une brève idée du projet, PENSEES NOCTURNES n’a pas la prétention de faire de la « Musique Classique » (étrange d’ailleurs le fait de réserver les majuscules au Black Metal). L’utilisation d’instruments dits classiques ne suffit pas à justifier une telle assimilation que beaucoup font trop vite à mon goût. Non pas que la comparaison ne soit pas élogieuse mais la simplicité des structures n’est pas aussi prestigieuse que certains voudraient le croire.

Assez paradoxalement je pense que le Black Metal et la Musique Classique s’opposent par essence. Le Black Metal tire son efficacité de la simplicité de ses structures (pour parler de généralités évidemment) et des distorsions très grasses des guitares, effet qui couvre une large bande spectrale et permet difficilement de faire ressortir d’autres instruments dans le mix. Plongés dans une distorsion crade, ceux-ci sont stérilisés et réduits à une simple mélodie.

Mais en outre que dire du tempo millimétré du Black Metal opposé aux variabilités incessantes de la Musique Classique, du volume constant après compressage abusif contre les nuances et les dynamiques si prenantes, des interprétations approximatives face à une rigoureuse précision etc. La philosophie est vraiment différente ! Néanmoins le fait de varier les ambiances permet d’obtenir un large spectre d’émotions et de degrés en mettant en avant les passages plus prenants comme dit précédemment.

J’écoute énormément de Musique Classique avec une préférence pour les périodes romantiques, postromantiques (surtout l’école russe) et contemporaines avec des compositeurs tels que Malher (Symphonie n°5), Tchaïkovski (la Pathétique), Chopin (Nocturnes, concerto n°1 pour piano), Dvorak (Symphonie du Nouveau Monde, Requiem, concerto pour violoncelle n°2), Moussorgski (Une Nuit Sur Le Mont Chauve), Chostakovitch ( Symphonie n°4 et n°11), Schonberg (Pierrot Lunaire), Dutilleux, Prokofiev (Roméo et Juliette, symphonie n°2), Grieg (Peer Gynt, Marche Funèbre en Mémoire de Rikard Nordraak), Berlioz (Symphonie Fantastique, Symphonie Funèbre et Triomphale).

Et en matière de Black Metal ? Comment conçois-tu celui-ci ? Tu es foncièrement ancré dans le Black Metal dit dépressif... Tu n'as pas opté pour du BALROG !

Comment conçois-je le Black Metal ? Mais peut être faudrait-il dans un premier temps s’attacher à spécifier ce que l’on entend par Black Metal ! L’abordons-nous uniquement sous l’aspect musical ou prenons-nous en compte les à-côtés sociétaux et conceptuels ? Dans les deux cas, est-il possible de clairement le délimiter, ou au moins le définir ? Sa complexité et sa diversité font que peu auraient la prétention de s’atteler à la tâche, sinon des sociologues présomptueux peu soucieux de réduire des individualités à des généralités, ou des puristes mégalomanes ayant la prétention de détenir la vérité ou du moins la signification d’un genre qui au final n’en est plus un. Le terme Black Metal est vide de sens aujourd’hui tant les sous-catégories sont multiples. Quelle ressemblance établir entre le Pagan et le Black Metal dit « True » ou encore l’industriel ? Le type de composition, les instruments, les émotions mises en jeu, les concepts, tout les sépare.

Ta question n’aborde donc pas tant ma définition du Black Metal que les « sous-genres » avec lesquels j’ai une affinité. Ma vision du Black Metal s’apparente à celle de la musique dans sa généralité : j’évite à tout prix de classer les groupes et les albums dans des catégories quelconques, conduite pratique mais tellement réductrice ! Je pars du principe que tout peut être bon et dès lors, toutes les facettes du genre m’intéressent : aussi bien la haine que la douceur, le malsain, la mélancolie, la beauté, la laideur, la complexité, la simplicité… Le fait d’avoir plus développé un point particulier n’est clairement pas le témoin d’un regard implicite négatif sur les autres.   

Il y en a eu d'autres des hordes mêlant musique classique et Black Metal (le premier qui me vient à l'esprit : HOLLENTHON, mais c'est du Death huhu) : quels sont tes disques de Black Metal dont tu ne peux te séparer ? Aide-nous à nous faire une idée de la généalogie de PENSEES NOCTURNES afin de savoir comment celui-ci est né...

Mon ambition de coupler « Musique Classique » et Black Metal n’est pas le résultat d’un quelconque mimétisme mais l’expression d’une inclination assez naturelle. Pour essayer de te donner une idée de ce parcours, je me suis cocassement intéressé à la Musique Classique après avoir découvert « Redemption Process » d’ANOREXIA NERVOSA. Je ne suis pas crédule et il est évident que PENSEES NOCTURNES  s’imprègne d’une manière ou d’une autre de ce qu’il m’arrive d’écouter mais je ne saurais honnêtement te dire quels opus s’avèrent les plus influents. En Black Metal Symphonique je citerais « Soulblight » et « Witchcraft » d’OBTAINED ENSLAVMENT. « Drudenhaus » et « Redemption Process » d’ANOREXIA NERVOSA, « Anthems to the welkin at dusk» d’EMPEROR, « Carriers Of Dust » de MIRRORTHRONE. Pour prendre le genre dans son ensemble : “Il était une forêt » de GRIS, « La Sanie des siècles - Panégyrique de la dégénérescence » de PESTE NOIRE, « Kénôse » de DEATHSPELL OMEGA, « Under The Sign Of Hell » de GORGOROTH, « Orthodoxyn » d’ARKHON INFAUSTUS. Il y en a beaucoup d’autres évidemment mais ce sont les cinq albums que je pense avoir le plus écouté jusqu’à aujourd’hui.

Quel genre de musique détestes-tu ?

La liste de ce que je déteste est vraiment imposante mais je l’établis avec un esprit critique peu soucieux des étiquettes stylistiques. Je préfère le cas par cas à l’évincement hâtif d’artistes pour la seule et unique raison qu’ils sont catalogués dans telle ou telle catégorie. Il me serait donc difficile de te répondre sinon à l’aide d’une liste détaillée. Les styles que j’apprécie sont très variés (je me suis même surpris à écouter du Bob Marley récemment) mais les émotions aussi, elles sont mêmes « contradictoires ». Il m’arrive régulièrement d’écouter la « Pastorale » de Beethoven ou la « Grande »  de Schubert qui ne sont pas d’une mélancolie manifeste. C’est le propre de l’esprit que de vagabonder d’émotion en émotion et se réduire à un type de sentiment ou de degré ne peut déboucher que sur l’ennui et la linéarité et même l’absurde. Je peux aussi bien apprécier ce qui est simpliste que ce qui est complexe, la puissance ou la douceur, le profond ou le léger. Seule la musique m’importe (j’adore Carmen par exemple malgré les traditions dont il est question…), aussi je peux quand même t’avouer avoir une aversion assez acerbe pour tout ce qui est son électronique ou synthétique.  

Vaerohn, te considères-tu comme élitiste ? Et underground ?

L’élitisme implique une notion de supériorité et dès lors de comparaison. Je ne me considère donc pas comme élitiste mais plus comme un individu à part, individu qui n’a pour ligne de conduite que de suivre ses aspirations au moment présent, sans se soucier de ce qui peut se passe autour de lui. Aucun instinct grégaire, aucune cause à défendre, aucune envie de surpasser qui que ce soit. On est donc bien loin de Nietzsche. J’en suis arrivé à un point où aucune cause profonde, aucune haine ne saurait m’aveugler suffisamment pour m’assurer une vie tranquille et fondée.

L’underground suppose un respect aveugle de règles, aussi implicites soient-elles, ce qui par essence tend à me faire fuir. Une musique que je considère comme de mauvaise qualité n’en devient pas plus intéressante parce qu’elle n’est pas partagée ! Et à l’inverse, ce ne sont pas la télé ou la grande médiatisation en général qui définissent ce que je ne déteste (même si le résultat est tout comme au final). Mais au préalable peut être faudrait-il aussi définir ce que tu entends par underground… Une chose est sûre, je m’en tiens dans la mesure du possible à ce que mes oreilles interprètent. Malgré cela il est évident que je n’oriente pas mes achats uniquement en fonction du mérite d’un groupe mais aussi de sa notoriété.

Je m’investis aussi pas mal dans la scène (organisation de concerts, webzine,…), il y a ceux qui parlent et ceux qui font, mais je m’en tiens toujours à ce qui me paraît le plus logique.

Es-tu guidé par une spiritualité particulière, un courant philosophique, une littérature ciblée ? Comment te définis-tu ?

J’ai beaucoup lu. Mais de ces lectures n’est ressortie qu’une certitude. Celle qu’aucun philosophe, aucun scientifique, aucun homme aussi génial soit-il n’a jamais trouvé la vérité, la solution, le sens. Lire peut probablement occuper, illusionner, permettre de s’instruire, de s’émouvoir, de faire voyager et même de changer une vie mais ne donnera jamais d’explication concrète de notre existence, la fin de ce film prenant mais si absurde. Je me suis tantôt retrouvé dans Le Monde comme Volonté et comme représentation, dans Le Gai Savoir ou même dans L’inconvénient d’être né. Mais une chose est sûre, toute lecture n’est pour moi qu’une simple source d’information aujourd’hui. A ce titre je trouve l’œuvre de Michel Onfray très intéressante. Je n’ai jamais réussi à me retrouver parfaitement dans un idéal ou une philosophie quelconque.

Vaerohn tes vocaux sont hurlés et tu fais passé une sacrée souffrance dans ceux-ci. Tu ne prends pas cette partie-là à la légère, et je trouve cela vraiment plaisant, car je considère que c'est un instrument à part entière. Qu'as-tu à dire à ce sujet ?

J’irais plus loin que toi car elle n’use d’aucun intermédiaire et est en rapport direct avec le musicien. Contrairement aux guitares saturées qui sont plates et sans dynamiques, la voix (similairement aux instruments dits « classiques » ou acoustiques) fait passer réellement une émotion indépendamment de la mélodie (j’entends les métalleux ricaner). C’est évidemment une part indispensable de PENSEES NOCTURNES et j’ai dans la mesure du possible tenté de ne pas trop la travailler. Un peu de reverb pour entrer dans le mix. C’est un point sur lequel il ne faut pas tricher pour rester crédible. Je suis conscient que ce chant peut repousser mais c’est exactement la vision que j’en avais et je suis assez satisfait du résultat.

La ville est également très présente dans l'artwork : quel sens lui accordes-tu ? Ta musique parle-t-elle d'elle ? Tu vis dans une mégapole urbaine que je trouve absolument ignoble de plus, Paris et sa région tentaculaire... Aimes-tu la ville, es-tu plus un citadin, un urbain qu'un rural, ou es-tu rurbain ?

Au risque de passer pour un Rousseau en herbe  et d’ennuyer les lecteurs avec de futiles détails j’ai eu le privilège de passer mon enfance dans un cadre rural. Comme tu le soulignes je suis arrivé à Paris il y a peu et ces paysages de béton, témoins de la propension stérile des hommes à créer la mort, m’effraient. Ce cadre urbain dépeuplé est le témoignage du fait que le Black Metal peut être la représentation d’une vie moderne, de ce malaise contemporain qui prend forme au milieu des tableaux sordides de bitume. La ville, archétype même de ces pulsions humaines de mort que l’on nomme progrès et aboutissement, agglomérat d’individualités égoïstes et hébétés dans leur routine absurde.  Je ne me suis jamais senti aussi seul qu’au milieu de cette masse et c’est quelque chose que j’avais besoin de faire ressortir. Tu l’auras compris, pour moi rien ne vaut la quiétude et la beauté de la « nature ».

« Dés-espoir » est le résultat d’une réflexion que nous avons mené avec Baalberith (fondateur de Postchrist) sur les paradoxes de la solitude. Je ne suis pas panthéiste mais on ne se sent finalement pas toujours aussi seul que l’on pourrait le croire  au milieu de verdure en comparaison avec les indicibles trajets en RER.

Quelle est ta définition de l'Enfer ? Quel est le tien ? Que penses-tu de l'humanité et dans laquelle nous plongeons tous ?

La notion d’Enfer suppose une vision manichéenne du monde que je ne peux accepter. Rien n’est bien, rien n’est mal. Une image témoin de notre faiblesse à réduire le monde à des concepts fantasmatiques. Personne n’y échappe, l’Histoire de la Science en est la manifestation parfaite quand bien même la complexité mathématique tente tant bien que mal de masquer ces aberrations. L’Homme a toujours tenté d’attribuer un sens à ce qui l’entourait malgré le fait que ses capacités intellectuelles (et même calculatoire aujourd’hui avec les ordinateurs aussi puissants soient-ils) l’obligent à établir des hypothèses réductrices pour arriver à un résultat. Peut-on se contenter d’une vue peut être parfaite et logique de l’esprit mais fausse pour représenter le monde ? Je pense quant à moi qu’il ne sert simplement à rien de réfléchir, que l’on ne pourra jamais trouver la solution, le sens. D’où le fait que je ne répondrais pas à ta question car elle s’inscrit dans un système de pensée que je n’approuve pas. Quant à l’humanité dans son ensemble je pense avoir déjà assez abordé son inclination à se laisser perdre dans l’excitation et l’illusion plutôt que faire preuve de raison et de logique.

PENSEES NOCTURNES va-t-il se produire sur scène, ou l'a-t-il déjà fait ?

Je n’ai pour le moment pas l’intention de tenter de retranscrire ces ambiances en concert. Outre l’aspect matériel je ne suis pas convaincu que ce genre de mélancolie puisse être aisément partagé contrairement au Blues par exemple. Il me semble plus important de développer la discographie du groupe, sans me préoccuper d’une éventuelle retranscription sur scène, plutôt que réfléchir à la formation d’un line-up par souci promotionnel ou de mimétisme.

Quels sont les derniers disques en metal qui t'ont botté l'arrière-train ? Quelles sorties prochaines attends-tu ?

En matière de Metal j’ai plus été déçu que conquis dernièrement (FUNERAL MIST, PESTE NOIRE). J’ai beau me remuer les méninges je suis incapable de me souvenir d’une sortie qui m’a claqué récemment. J’attends avec une certaine impatience les prochains SECRET OF THE MOON et HYADNINGAR, assez curieux de voir à quoi vont ressembler le prochain DRUDKH et le GLORIOR BELLI aussi.

Quelle est la suite des évènements – sur quoi planches-tu désormais, hormis répondre à ces satanées interviews ?

Serais-tu victime d’une certaine forme de sadisme ? J’ai en effet beaucoup de mal à trouver du temps parmi ces interviews mais je m’attache autant que possible à mettre en forme le successeur de « Vacuum ». Les textes sont écrits et le concept est là, il ne reste plus qu’à matérialiser ces pensées. Je peux d’ores et déjà te dire que sera quelque chose de plus complexe, de plus malsain et de moins attendu.

J’ai de plus quelques projets de BO en parallèle qui risquent de me prendre pas mal de temps… Rien de bien planifié en somme.

Qu'as-tu écouté pendant cette interview ?

Voilà une question heureuse ! Il m’est régulièrement demandé de résumer mes influences ou mes goûts mais l’aversion que j’ai pour les étiquettes et le cataloguage intempestif des groupes me pousse à répondre hâtivement. Sans prendre le temps de ranger : « Quintessence » et « Royaume de Glace » de SOMBRES FORÊTS, l’album éponyme de LANTLÔS, « Time Brings About A Change » de FLOYD DIXON, le split DEATHSPELL OMEGA/S.V.E.S.T., « Golevka » de THE EVPATORIA REPORT et « Elegies to Lesson Learnt » d’iLiKETRAiNS. Cela fait beaucoup de temps passé derrière un écran…

Que doit-on retenir de PENSEES NOCTURNES ?

Tout est à inventer. Suivre le berger est à la portée de tous mais faire fonctionner son cerveau l’est aussi. Prendre conscience que l’on est en rien obligé de tout accepter est indispensable pour tracer son propre chemin.

Qu'est-ce que ne fera jamais PENSEES NOCTURNES ?

Revomir éternellement les mêmes sonorités, les mêmes riffs, les mêmes idées. S’en tenir à une doctrine ou une ligne de conduite réductrice. Prendre en compte les avis extérieurs.   

Question rituelle, entre autres : Vaerohn, peux-tu me donner trois adjectifs qui définissent le mieux la personnalité de PENSEES NOCTURNES ?

Affranchi, désabusé, vain.

Vaerohn, cette longue interview s'arrête là. Vacuum est un très bon disque que je vais dépouiller afin d'en faire ressortir le nectar... et le vinaigre eheh ! Je te souhaite le meilleur pour l'avenir, et que Vacuum soit remarqué à sa juste valeur ! Les derniers mots sont pour PENSEES NOCTURNES !

Sans vouloir en aucune manière te soudoyer car visiblement tu n’as pas encore chroniquer l’album, cet entretien est de loin le plus intéressant et le plus long que l’on m’ait proposé pour le moment ! N’hésite pas à travailler le vinaigre, qui sait peut-être lirais-je ta critique un jour… Je te souhaite le meilleur, il est rare de rencontrer des personnages aussi sérieux et passionnés.

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Commentaires
M
Entretien profondément intéressant, dévoilant autant sur Vaerohn qu'elle soulève de poussière et de questions. Le créateur des excellents Vacuum et Grotesque (et du Nom d'une pipe ! trop récent se prononcer, mais qui semble prometteur) apparaît, à l'image du son qu'il enfante, comme à part du monde «connu». Il est aussi intéressant à lire que plaisant à écouter !
LA VOIX DES OMBRES
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